Où git votre sourire enfoui ?

Trésors et curiosités

Au moment du montage de la troisième version de Sicilia ! de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Pedro Costa tourne une "comédie du remontage" en filmant les deux réalisateurs. Derrière leur patience à l’œuvre, tendre et violente, les deux cinéastes dévoilent une certaine idée de leur cinéma et de leur couple.

Pedro Costa, né en 1959 à Lisbonne, représentant du cinéma radical portugais, filme ici le couple de cinéastes que constituent Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. 

Où git votre sourire enfoui ? fut d’abord présenté en 2001 à la télévision (dans une version de 50 minutes), épisode de la collection documentaire Cinéma, de notre temps menée par Janine Bazin et André S. Labarthe. C'est un portrait passionnant et touchant des "Straub" au travail, entre disputes et moments de création. Exceptionnellement devant la caméra, le duo en perpétuel conflit prête à sourire : Danièle est à la table de montage, concentrée et agacée par son époux qui déambule dans la pièce, mâchonnant un cigare et évoquant des anecdotes, citations et références. Ce dernier définit le montage comme un « combat avec la matière » et c’est bien à cela qu’on assiste : une épreuve de patience, de réflexion, où chaque minuscule choix de raccord ou de coupe implique des changements importants dans l’esprit du film.

Avec une caméra immobile, en retrait et un cadre fixe, Costa saisit une atmosphère, un travail de recherche plus que son aboutissement et l’austérité de son film rappelle celle de l’œuvre de ses protagonistes.

«“Il y a d’abord l’idée, puis la matière, puis la forme”, déclare solennellement Straub, comme s’il s’agissait d’un engagement politique. Une phrase qui résonne comme une maxime bressonienne, avant que ne soit rajouté : “Le reste, c’est de la sauce.” […] La fixité des plans (marque stylistique de Costa) se fait le prolongement visuel et temporel de leur rigueur et de leur patience. […] Dans cette chambre noire, décor familier au réalisateur portugais, se dessinent un très beau plan de travail et un superbe portrait de cinéastes. À la fois dans la proximité (on a le nez sur la matière filmique) et dans la distance (notamment humoristique : “Taisez-vous, Straub !”), dans l’unité du couple et dans la confrontation, cette "comédie du remontage" se calque sur la persévérance des cinéastes pour, dans la durée, faire émerger une forme, un sourire dans des yeux, et soulever la véritable nature de l’émotion cinématographique. » (Amélie Dubois, Les Inrockuptibles, 1^er janvier 2003)