Millennium Mambo

Lumière Classics

Vicky (Shu Qi) gère les relations publiques d’un night-club de Taipei. Elle partage sa vie et son appartement avec Hao-hao (Tuan Chun-hao), d’une jalousie obsessionnelle : il vérifie ses comptes, ses factures, les messages sur son portable, et même l’odeur de ses vêtements. Vicky s’accroche à l’idée qu’elle quittera Hao-hao lorsqu’elle aura vidé son compte en banque. En attendant, elle se réfugie parfois chez Jack (Jack Kao). Ils ne savent pas comment va évoluer leur relation : amitié plus durable ou liaison amoureuse ?

« Un point de rencontre entre sensualité plénière et abstraction radicale ». Voilà comment le critique Jean-Michel Frodon parlait de Millennium Mambo après sa présentation au Festival de Cannes (Le Monde, 20 mai 2001). Il est vrai que cette première incursion de Hou Hsiao-hsien dans le monde urbain contemporain est aussi insaisissable que fascinante.

Histoire d’un couple qui se délite - elle qui mérite mieux et lui qui ne la mérite pas –, Millennium Mambo perturbe dès son ouverture : cette histoire est racontée au futur antérieur à la troisième personne par une voix off, celle de la jeune femme que l’on voit pourtant à l’écran. La voix parle depuis 2011, introduisant une histoire terminée depuis dix ans. Dans ce portrait d’une jeune femme de son époque, c’est surtout l’ennui qui est filmé, l’errance quotidienne et nocturne. Dans le club, la caméra du cinéaste déambule, se faufile entre les corps, filme l’énergie du lieu, mais aussi la vacuité, le temps qui file. La mélancolie est de mise. Pour son auteur, c’est « un film sur des gens qui brûlent leur jeunesse » (Les Inrockuptibles, 30 octobre 2001).

Le film est un objet hypnotique. L’ambiance est cotonneuse, confinée. Les volutes de fumée, la nuit, les néons, tout en fait une expérience sensorielle puissante. Hou Hsiao-hsien joue des lumières, de leurs reflets dans les matières plastiques. Le travail sur le son est impressionnant : des bruits remplacent les dialogues, réduits au minimum. Un claquement de briquet sonne comme une ritournelle. Enfin, pour achever d’ensorceler, les longs plans-séquence, quasi fixes, ainsi que le peu de dialogues écrits, donnent aux comédiens une réelle liberté pour faire exister leurs personnages.

« Millennium Mambo est une merveille, un trip expérimental et un objet de pure fascination, une bluette de roman-photo et un concept structuraliste, un film à la jonction idéale de l’intellect et de l’émotion, qui comble magnifiquement les oreilles et les yeux, le cerveau et le cœur, les sens et la pensée, un diamant de cinéma susceptible de réconcilier sous son halo bleuté rats de cinémathèque et souris de galeries d’arts, esthètes pointus et galopins de dance-floor. » (Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, art. cit.)