Le Saut dans le vide

Invités du festival : Marco Bellochio - Lumière Classics

Le juge Mauro Ponticelli (Michel Piccoli) vit dans un appartement romain avec sa sœur Marta (Anouk Aimée). Tous deux sont célibataires et liés par un rapport morbide, qui cependant n’est jamais allé jusqu’à l’inceste. Depuis toujours, Marta a joué le rôle ambigu de patronne et servante, se dévouant corps et âme à son frère. Toujours vierge au seuil de la ménopause, elle a l’impression d’avoir gâché sa vie. Leurs souvenirs et leurs cauchemars sont ceux d’une enfance difficile avec un autre frère fou. Mauro craint que Marta ne devienne folle à son tour et voudrait s’en libérer.

Présenté à Cannes en 1980, Le Saut dans le vide crée l’événement : pour la première fois, le jury remet les prix d’interprétation féminine et masculine aux acteurs d’un même film. Michel Piccoli et Anouk Aimée sont en effet saisissants dans ce drame glaçant, qui attaque au cœur le conformisme bourgeois et tout ce qui peut se dissimuler de malsain derrière cette façade. Réflexion sur la folie, mais surtout sur l’aliénation familiale et les liens de dépendance / domination entre un frère et sa sœur, le récit montre comment, chaque jour un peu plus, leur passé traumatisant envahit leur présent.

Derrière l’apparence respectable de Mauro se cache un pervers manipulateur ; outre sa domination matérielle sur Marta — c’est lui qui travaille et ramène l’argent —, il exerce sur elle une violence psychologique hors du commun. Si, à première vue, tout porte à croire que Marta est au bord de la folie, il devient très vite clair qu’elle couvre celle de son frère. Alors que Mauro persiste dans son attitude, elle tente de s’ouvrir au monde, de se libérer de son frère et des fantômes familiaux. Sa révolte est douce, lente, mais ferme, pour s’extirper de ce carcan étouffant. Alors que Mauro fait tout pour garder l’ascendant sur sa sœur, sa démence éclatera au grand jour quand celle-ci lui échappera et commencera à vivre sa propre vie.

« Bellocchio fait partie des metteurs en scène avec lesquels on a envie de travailler. C'est évident. Tout acteur a envie de travailler avec Bellocchio. Et parce que ce sont des sujets que, peut-être, en France, on n'ose pas, on a peur, on craint d'aborder. […] Le personnage que je joue aussi est très important parce qu’il est un fou méchant, lucide. C'est un manipulateur. Et j'aime beaucoup interpréter les personnages des institutions qui doivent être des personnages raisonnables, paisibles, intelligents, sérieux, auxquels on puisse confier son existence. Et on s'aperçoit que quelquefois, ces personnages de nos institutions prennent un pouvoir démoniaque. » (Michel Piccoli dans une interview télévisée pour FR3, 16 mai 1980)