Le Grand Silence

Lumière Classics

Utah, 1898. Affamés par un hiver glacial, paysans et bûcherons descendent des forêts et pillent les villages. Les chasseurs de prime, menés par le cruel Tigrero (Klaus Kinski) les massacrent sans vergogne. Solitaire, Silence (Jean-Louis Trintignant) arrive en ville, bientôt engagé par Pauline (Vonetta McGee) pour venger son mari assassiné.

Sergio Corbucci, "l’autre Sergio", fut l’un des maîtres du western européen. Il a développé un univers personnel imaginatif, parfois exubérant, toujours peu conformiste. Venu au cinéma par la critique, il aura eu une carrière prolifique (plus de soixante films en quarante ans) et foisonnante, touchant à tous les genres et mouvements : comédie, film musical, péplum, western… Dans ce dernier, ses pièces maîtresses sont Django en 1966 et Le Grand Silence.

« Les pas de l’homme pourraient piétiner ce lieu pendant mille ans, jamais ils n’effaceraient le sang de ceux qui sont tombés ici. » À Snow Hill, Utah, en 1898, une tragédie s’est déroulée, et c’est là le propos du Grand Silence, un des westerns les plus nihilistes du genre. Alors que les paysans (certains rescapés de la Guerre de Sécession) sont obligés de voler pour survivre, des chasseurs de prime les massacrent pour une poignée de dollars. Dans cette Amérique où ils se substituent légalement à la justice, ces "meurtriers autorisés" sèment la terreur.  Deux hommes s’opposent : Tigrero, sanguinaire, né pour tuer (fantastique Klaus Kinski) et Silence, défenseur des outlaws, dévoré par un traumatisme de l’enfance (Jean-Louis Trintignant, mutique).

Dans cette œuvre originale, les cartes sont rebattues et le dernier duel est désespéré. Le héros, diminué, est perdu d’avance. Cet Ouest, brutal et sans complaisance, semble bien être le vrai. Le Grand Silence est un des rares westerns où la terreur gagne, où le bon y laisse sa peau, où les plus cruels sortent victorieux. Cette noirceur ne pouvait convenir aux producteurs du film qui demandèrent à Corbucci de tourner une seconde fin, plus optimiste. Le cinéaste s’exécuta, mais fit en sorte que celle-ci, à la limite du grotesque, ne soit pas exploitable.

Une ambiance lourde, une authenticité troublante, émanent de ces lieux enneigés, filmés en décors réels. Cette neige, communément symbole de légèreté et de pureté, traduit ici le poids accablant de l’hiver. « Pendant tout le film, on a l’impression d’un monde à part, fini : là vivent des hommes soustraits à la vie, fantômes refroidis, hommes des cavernes couverts de peaux, personnages préhistoriques. Les neiges ont oublié le temps, les hommes se sont perdus et, pour survivre, se dévorent entre eux comme des fauves. Il n’y a aucun cri dans ce film de gel, tout est cotonneux et suspendu. » (Luca Beatrice, cité par Jean-François Giré, Il était une fois… le western européen, Dreamland)