La Soif du mal

Grands classiques du noir et blanc

Dans une ville frontalière, Mike Vargas (Charlton Heston), fonctionnaire mexicain chargé de lutter contre le trafic de stupéfiants, est témoin de l'explosion d'une voiture qui fait deux morts. L'attentat a eu lieu en territoire américain et Vargas propose son aide au responsable de la police locale, Hank Quinlan (Orson Welles) ...

Après Citizen Kane (1941) et La Splendeur des Amberson (1942), Orson Welles parcourt l'Europe, constamment à la recherche d'un financement pour Macbeth (1948), pour Othello (1952) puis pour Mr. Arkadin (1955). La Soif du mal marque le retour du réalisateur à Hollywood et dans un studio, Universal.

Le film est construit autour de deux personnages qui se définissent par leur opposition : le jeune fonctionnaire de police mexicain zélé, remarquablement interprété par Charlton Heston et le policier américain, Hank Quinlan, corrompu et désabusé depuis la mort de sa femme, incarné par Welles lui-même. Quinlan a du flair et suit volontiers son intuition. Cela ne l'empêche pas de se comporter en sale flic dangereux. Le film a d'ailleurs été attaqué pour son immoralité prétendument glorifiée. Orson Welles a pourtant été très clair sur ce point à la sortie du film : « Ce que dit Vargas, je pourrais le dire moi-même. L'angle sous lequel il faut prendre le film est que, quoi que dise Vargas, il est mon porte-parole. Aussi vaut-il mieux voir un meurtrier libre que la police autorisée à abuser de son pouvoir. »

Indépendamment de cette polémique, le film frappe surtout par son extraordinaire beauté. Le filmage détient une force qui sert idéalement le genre. Stylistiquement, Welles est à son meilleur. L'emploi de la courte focale (le 18,5) permet de déformer Hank Quinlan, qui semble envahir l'écran et, grâce au grand angle, se développent une poésie étrange et un sentiment d'oppression. Les décors, la lumière et le cadrage très travaillés, les nombreux gros plans, créent une théâtralité baroque qui souligne l'action ou l'évolution psychologique des personnages.

« C’est un film qui nous humilie un peu parce qu'il est celui d’un homme qui pense beaucoup plus vite que nous, beaucoup mieux et qui nous jette à la figure une image merveilleuse alors que nous sommes encore sous l’éblouissement de la précédente. D'où cette rapidité, ce vertige, cette accélération qui nous entraînent vers l’ivresse. […] Si des confrères critiques s'avisent de chercher des preuves contre ce film qui est une évidence d'art et rien d'autre, nous assisterons au spectacle grotesque de Lilliputiens critiquant Gulliver. » (François Truffaut, Arts n°673,4 juin 1958)