La Lune s'est levée

Histoire permanente des femmes cinéastes

M. Asai (Chishu Ryu) vit à Nara auprès de ses trois filles : Chizuru (Hisako Yamane), l’aînée, revenue au domicile familial après la mort de son mari ; Ayako (Yoko Sugi), la cadette, en âge de se marier mais peu pressée de quitter les siens ; et la benjamine Setsuko (Mie Kitahara), la plus exubérante des trois, qui rêve de s’installer à la capitale. Shoji (Shoji Yasui), le beau-frère de Chizuru, qui loge à proximité, reçoit un jour la visite d’un ancien ami, Amamiya (Ko Mishima), qui se souvient avec émotion d’Ayako, rencontrée durant sa jeunesse. Setsuko est persuadée qu’il a toujours des sentiments pour sa sœur et va tout faire pour forcer le destin…

« À la fin du tournage de L’Intendant Sansho, j’ai annoncé à Mizoguchi que j’allais bientôt diriger mon deuxième film. Il m’a regardée et a juste dit : “Pas la peine. Ce n’est pas la peine.” » (Kinuyo Tanaka). Après une première réalisation remarquée, Kinuyo Tanaka, toujours actrice, décide de poursuivre sa carrière de cinéaste, et ce, malgré les difficultés. Car si certains avaient accepté la première incartade de la star, il n’était pas question que cela se reproduise. Mizoguchi ne peut le supporter, la rupture professionnelle entre le maître et son interprète est définitive.

C’est donc soutenu par un autre grand nom du cinéma japonais que la nouvelle cinéaste signe son second opus, La Lune s’est levée. Yasujiro Ozu avait écrit ce scénario, en compagnie de Ryosuke Saito, en 1947, mais n’avait pu le réaliser. Il décide alors de l’offrir à celle qui interprètera bientôt pour lui Fleurs d’équinoxe (1958). Tanaka tournera son film au sein du studio Nikkatsu, historiquement premier studio japonais, qui rouvrait ses portes en 1953, après des années de fermeture pendant la guerre. Les majors, réticentes au retour de la Nikkatsu, avaient signé un accord interdisant à toute vedette sous contrat d’y travailler. Nouvelle contrainte pour Tanaka, jusqu’à ce que Chishu Ryu, acteur prolifique et fétiche d’Ozu, s’engage à ses côtés.

La Lune s’est levée aborde évidemment les thèmes chers à Ozu : la famille, le mariage, les relations parents-enfants. Mais le parcours sentimental de ces trois sœurs dans un Japon qui se tourne lentement vers la modernité est désormais considéré du point de vue des femmes : la jeunesse féminine d’après-guerre s’émancipe, et de manière innovante, Kinuyo Tanaka décrit le rôle des femmes dans l’évolution de la société japonaise. Elle filme avec subtilité les sentiments, dans une mise en scène précise et maîtrisée. Et impulse une nouvelle vision, plus moderne et désormais indépendante de ceux qui ont été ses pygmalions « pour atteindre un mouvement plus souple et énergique, voire brusque, à l’image des gestes impulsifs de la plus jeune des sœurs, interprétée par Mie Kitahara. » (Paola Raiman, Cahiers du cinéma n°757, juillet/août 2019)