Judex

Sublimes moments du muet

Un mystérieux justicier, Judex (René Cresté), entre en lutte contre le banquier Favraux (Louis Leubas) qui a édifié sa fortune en usant de méthodes indignes. Judex enlève l'escroc et l'enferme dans les caves de son repaire. Mais ses plans sont contrariés par une aventurière, Diana (Musidora)…

Lorsqu’il filme Judex, Louis Feuillade a déjà une prolifique carrière chez Gaumont en tant que scénariste et réalisateur. Découvert par Alice Guy, il devient directeur artistique de la maison à la marguerite en 1907 et le restera jusqu’à sa disparition, en 1925. En 1917, ses derniers grands succès sont Fantômas (1913-1914) et Les Vampires (1915), avec l’énigmatique Musidora.

Selon Francis Lacassin, Judex est le premier vrai serial français. Alors que le cinéma français est laissé exsangue par la guerre, ce nouveau genre, né aux États-Unis, fait irruption dans le paysage. C’est le mariage du cinéma et du roman-feuilleton à la française que Gaumont s’apprête à célébrer. Judex est un film en douze épisodes : un épisode par semaine, accompagné par la parution du roman en feuilleton quotidien dans Le Petit Parisien. Arthur Bernède, auteur de romans populaires (il signera Belphégor en 1927), est également coscénariste du film avec Feuillade.

Le succès est phénoménal, le public attend chaque semaine la suite des aventures de Judex, des affiches habillent les murs, des timbres sont gravés à l’effigie du héros incarné par René Cresté, devenu une vedette majeure.

Bernède et Feuillade expliquaient que Judex était un film « [qu’ils avaient] voulu populaire dans l’acception la plus large, la plus saine du mot, spectacle de famille exaltant les plus nobles sentiments et où [ils s’étaient] efforcés de plaire aux petits et aux grands, grâce à une action aux péripéties les plus diverses et les plus imprévues » (cités in Pierre Lherminier, Annales du cinéma français, Les Voies du silence 1895-1929, Nouveau Monde). La guerre battant son plein, il avait été reproché à Feuillade d’affaiblir le moral du public avec ses histoires criminelles. Ici le héros est positif, entre le justicier de l’ombre et le jeune premier romantique, empruntant aux héros romanesques d’Alexandre Dumas ou de Paul Féval. Et toujours pour Lacassin, en le baptisant Judex, on lui confère « une âme de bronze et une vertu solide ». (Louis Feuillade, Seghers)

Ado Kyrou de conclure dans son célèbre Le Surréalisme au cinéma (Ramsay) : « Les éternels censeurs n’avaient pas compris que, pour Feuillade, le bien et le mal n’étaient pas contradictoires, que ces notions n’existaient même pas dans ses films, que Fantômas et Feuillade appartenaient à la grande famille de la liberté. »