In the Cut

Prix Lumière : Jane Campion

Professeur de lettres, Frannie (Meg Ryan) vit seule à New York. Un soir, dans un bar, elle est le témoin d’une scène intime entre un homme et une femme. Fascinée par l’intensité de leur passion, elle remarque le tatouage de l’homme et la chaleur de son regard. Le lendemain, elle apprend qu’un meurtre a été commis tout près de chez elle. Malloy (Mark Ruffalo), le policier chargé de l’enquête, a le sentiment qu’elle sait quelque chose. Frannie se sent attirée par l’inconnu, mais son attitude l’effraie tout autant que le tatouage sur son poignet. Le doute s’insinue en elle…

Premier film américain de Jane Campion, In the Cut est également son premier film de genre. Pour ce film noir aux accents de thriller érotique, la cinéaste est allée chercher ses influences dans le cinéma américain des années 70, de French Connection de William Friedkin à Taxi Driver de Martin Scorsese. Mais c’est surtout à Klute d'Alan J. Pakula qu’elle fera référence, tant pour son histoire mélangeant amour, mystère et violence, que pour le rôle dramatique offert à Jane Fonda, marquant, comme ici pour Meg Ryan, une évolution de carrière. Esthétiquement, le New York de Jane Campion s’inspire du travail de la photographe Nan Goldin, et le recours à des images floues appelle régulièrement à faire le focus dans un inconscient refoulé.

Au détour de l’escalier d’un bar où elle surprend une scène de sexe, Frannie fait une plongée dans « une sorte de souterrain mythique qui est aussi le début d’un voyage » (Jane Campion). Jusque-là, elle avait tu ses pulsions intérieures, enfoui sa sensualité. Recluse dans une peur irrationnelle, la solitude et le repli étaient son quotidien. La liaison entre Frannie et Malloy, en charge de l’enquête sur une série de meurtres, s’annonce inéluctable. Il est son opposé, incarne à ses yeux la sensualité, mais aussi le danger, la peur. Elle revient à la vie, tout en risquant à chaque instant de mourir.

« Le désir et sa reconnaissance, la pulsion sexuelle, l’émancipation… Depuis toujours, Jane Campion interroge certains thèmes au sein des formes de récit les plus diverses. Dans ses derniers films, son art revient plus obsessionnellement encore sur les mêmes motifs. À ce titre, In the Cut peut être le troisième volet d’une série inaugurée avec Portrait de femme et Holy Smoke. Telle Isabel Archer, l’héroïne de Henry James prisonnière des conventions, Frannie, New-Yorkaise a priori "libérée", découvre la réalité vertigineuse du désir physique et ses répercussions sur un univers psychique qu’elle croyait domestiqué. Telle Ruth dans Holy Smoke, elle cherche, sans en être nécessairement consciente un alter ego susceptible de conjurer sa glaciale solitude intérieure. Or, chez Jane Campion, la rencontre n’est jamais un événement anodin ; c’est une déflagration sentimentale, un tremblement de terre personnel. » (Olivier De Bruyn, Positif n°514, décembre 2003)