Céline et Julie vont en bateau

Invités du festival : Bulle Ogier

Julie (Dominique Labourier) est une bibliothécaire à la vie rangée, sans histoire ni surprise. Laissant tomber trois objets devant Julie, assise dans un square, Céline (Juliet Berto), entre personnage magique et prestidigitatrice, l’entraîne — telle Alice — dans un monde d’aventures.

À l’instar des Aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Jacques Rivette réalise une œuvre située entre rêve éveillé et réalité décalée. Céline et Julie vont en bateau surprend, brise les codes, floute les frontières. Lors d’une conversation avec Juliet Berto, le cinéaste lui confie être las de filmer des histoires entre un homme et une femme ; il veut porter à l’écran un duo féminin. Il propose l’un des rôles principaux à Juliet Berto, l’autre à Dominique Labourier. Ainsi, accompagnés par le scénariste et futur cinéaste Eduardo de Gregorio, ils commencent tous à écrire. Seule contrainte : ce sera le projet d’un été, avec une équipe réduite et un petit budget. Le groupe imagine un film léger, fantasque, drôle, où chaque personnage sera créé et écrit par son interprète. Bulle Ogier et Marie-France Pisier se joignent bientôt à la troupe et décident d’écrire une histoire dans l’histoire, inspirée de deux textes d’Henry James.

Rivette se fait chef d’orchestre : chaque matin, quand ses actrices viennent le consulter, il redirige, creuse, fait se rencontrer les personnages afin qu’ils se transforment au contact des autres. Malgré ce processus étonnant, il n’y a pas de place pour l’improvisation et le rythme est intense. Céline et Julie vont en bateau est un film rêvé, écrit et construit à plusieurs, dans une énergie collective inédite. « On était libre de tout faire […]. Nous avons cherché les décors, nous nous sommes mêlés de tout, sans savoir précisément où on allait, mais avec la certitude que le potentiel d’énergie dépensé nous mènerait quelque part. […] Et nous avons vu le film, terminé, comme une histoire nouvelle, avec des gens inconnus, quelque chose de bizarre et de drôle ; et ça ne m’a pas gêné que ce soit nous, sur l’écran. C’est un film qui doit toucher toutes les sortes d’enfants. […] Car un personnage de Rivette, c’est quelqu’un qui passe sur cette planète, en plein dedans, mais en un peu plus flottant, dans un monde réel où la réalité se promène du côté de l’imaginaire, ou bien dans le rêve. » (Juliet Berto, cité par Martin Even, Le Monde, 25 avril 1974)