Sunset Boulevard / Boulevard du Crépuscule

Grands classiques du noir et blanc

Un cadavre flotte dans une piscine de Sunset Boulevard. Il y a quelques temps, l’homme était entré dans cette villa qu’il croyait abandonnée pour échapper à des créanciers. Scénariste sans le sou, Joe Gillis (William Holden) y avait rencontré Norma Desmond (Gloria Swanson), gloire du cinéma muet, recluse là avec son majordome, Max von Mayerling (Erich von Stroheim), ancien cinéaste et ex-mari de l’actrice. Joe Gillis était alors engagé par Norma pour mettre en forme le scénario qui signerait son grand retour devant les caméras…

« C’est l’histoire d’un type qui veut une piscine, qui obtient une piscine, et qui meurt dans une piscine. » Billy Wilder pouvait être laconique quand il évoquait ce qui est sans doute un des films les plus vertigineux sur Hollywood. Car là était son ambition initiale, « réussir une chose qui ne marche jamais vraiment : un film sur Hollywood ». (Conversations avec Billy Wilder, Cameron Crowe, Actes Sud / Institut Lumière)

Le génie du cinéaste est d’avoir ancré Boulevard du Crépuscule dans une réalité précise, avec des personnages et des milieux référentiels. Pour incarner Norma, il envisageait Mae West, Pola Negri ou Mary Pickford. C’est finalement Gloria Swanson, immense star du muet brisée par le passage au parlant, qui endossera le rôle – après avoir dû, suprême affront de la Paramount, faire des essais. La mise en abyme est totale : le majordome et ex-cinéaste est incarné par Erich von Stroheim, qui avait tourné lui-même son dernier film muet, Queen Kelly (1928), avec Gloria Swanson. Ce sont des images de ce film que montre Norma à son nouveau scénariste… Les fantômes d’un monde disparu sont partout (ainsi Cecil B. DeMille et Buster Keaton dans leurs propres rôles), offrant au film, dont le narrateur parle d’outre-tombe, une effrayante authenticité.

Entre tragique et grotesque, avec un cynisme non dépourvu de tendresse pour ses personnages, Boulevard du Crépuscule est un hommage au cinéma, à ses illusions et à ses dérives parfois mortelles.  Et c’est dans un noir & blanc qui renvoie à l’expressionnisme et au film noir, que sont décrites l’ambition, la cruauté, les angoisses et la folie d’une actrice vieillissante. Le portrait d’une usine à rêves qui finit par dévorer ceux qu’elle a créés.

« L’approche de Wilder et Brackett est extraordinaire. Le film dégage une odeur de rideaux de velours rouge moisis et la brillante interprétation de Gloria Swanson dans le rôle de la vieille star oubliée Norma Desmond est en fait une pure merveille de délicatesse. […] Swanson domine le film avec une telle grâce et un tel humour pervers qu’elle a même réussi à rendre célèbre le nom de son personnage. Cinquante ans plus tard, il existe peu de vedettes plus célèbres que la star de fiction créée par Wilder. […] Lorsque le film fut présenté à Hollywood, il produisit un effet de choc par son audace à la fois comique et sombre. C’était bien l’effet voulu par le réalisateur. Lors de l’avant-première, Barbara Stanwyck baisa le bas de la robe de Gloria Swanson. » (Cameron Crowe, op. cit.)