Absence de malice

Sydney Pollack

Joseph Diaz, leader du syndicat des dockers, a disparu depuis plusieurs mois, sans doute assassiné. Une jeune reporter du Miami Standard, Megan Carter (Sally Field), apprend que le FBI visionne des images filmées pendant les funérailles de Tony Gallagher, bootlegger notoire qui avait longtemps combattu toute implantation syndicale à Miami. Rosen (Bob Balaban), responsable de la lutte antigang, se refuse à tout commentaire, mais laisse sur son bureau le dossier de Michael Gallagher (Paul Newman). Megan en conclut que Michael est le principal suspect et publie la nouvelle à la Une.

« J’ai le sentiment que les journalistes d’enquête, les grands reporters, sont atteints du syndrome de la "star" : ils sont plus enclins à dénoncer qu’à expliquer, ce qui devrait être pourtant leur premier souci. Ils ont acquis une sorte de mentalité de tueurs… » Pour Sydney Pollack, au début des années 80, il est nécessaire de « jeter un regard d’une sévère lucidité sur la moralité journalistique post-Watergate ». Depuis Les Trois Jours du Condor, le cinéaste se penche davantage sur l’Amérique contemporaine. Il est secondé ici au scénario par Kurt Luedtke, ancien journaliste, qui s’inspire de ses expériences personnelles.

Sans les remettre en cause, Pollack interroge les deux piliers de la démocratie américaine que sont la liberté de la presse et le droit à l’information. La vérité ou sa représentation ? La vérité ou les informations récoltées par les journalistes ? Le cinéaste s’appuie sur la jurisprudence « Times vs. Sullivan » de 1964 instaurant que l’intention malveillante (actual malice) est nécessaire à l’ouverture d’une action en diffamation par des personnes publiques ou détentrices de l’autorité contre un organe de presse.

Avec son passé familial plus que trouble (père trafiquant d’alcool, oncle parrain de la mafia locale), Gallagher, tranquille citoyen, est le coupable désigné. Un scoop idéal pour Megan. Mais dans cet univers cynique, la manipulation vient de Rosen, prêt à tout pour forcer Gallagher à remonter la filière jusqu’aux vrais coupables. Mais c’est sans compter sur l’opiniâtreté de l’innocent, qui retourne la machine infernale contre ses adversaires.

« Qu’ils modèlent le réel ou fabriquent de la fiction, les maîtres de la communication sont, d’abord et avant tout, des professionnels de la manipulation. L’innocence est dans l’autre camp, elle est l’apanage et la grâce des victimes. À ceux qui observent et influencent la réalité, Pollack préférera toujours ceux qui la subissent, fût-ce dans une candeur ou une inconscience totale. […] De là sa prédilection pour les amateurs qui méconnaissent les règles du jeu, les ingénus qui se débattent dans l’entrelacs de complots obscurs, les individualistes arrachés à leur quiétude de rêveurs et plongés dans un conflit qui les dépasse. Il voit en eux les derniers héros romantiques, survivants d’une époque révolue soudain précipités dans notre ère du soupçon. » (Michael Henry, Positif n°232, mars 1982)