Autoportrait

« Le film aurait pu s’appeler Maurice Pialat ! »


Posté le 14.10.2021


 

La genèse de Van Gogh, racontée par Sylvie Pialat, la dernière compagne du cinéaste.

 

Trente ans après sa présentation au Festival de Cannes, Van Gogh, qui réunit plus d’un million de spectateurs et valut à Jacques Dutronc le César du meilleur acteur, réinvestit le grand écran dans une éclatante version restaurée. La productrice et scénariste Sylvie Pialat rassemble ses souvenirs.

 

Comment est né Van Gogh ?

Grâce à Daniel Auteuil. En 1988, il a contacté Maurice pour lui signifier son souhait de tourner avec lui. Il venait d’acquérir les droits des Derniers jours de Charles Baudelaire, de Bernard-Henri Lévy, avec l’intention de l’adapter au cinéma et l’a invité à s’emparer du projet. Mais Maurice, qui peignait beaucoup et n’était pas familier du quotidien de la vie d’un écrivain, lui a proposé de raconter celle de Van Gogh. Le film a mis du temps à se concrétiser mais sans Daniel, il n’aurait jamais existé.

Pourquoi Van Gogh plutôt que Poussin ou Seurat, dont Maurice Pialat admirait le travail ?

Maurice avait déjà réalisé un petit film sur Van Gogh et Auvers-sur-Oise pour Pathé et cet homme a eu un destin assez fort qui l’intéressait. Il connaissait très bien sa correspondance avec son frère et pensait être en mesure de pouvoir en tirer un script assez facilement.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?

Il s’est mis à écrire en lien constant avec Daniel Auteuil, d’une manière qui ne lui était pas arrivée depuis très longtemps. C’est comme s’il y avait eu une inspiration divine qui l’aidait à dépasser sa sainte horreur de l’écriture. Pendant un an, on a partagé notre vie presque quotidiennement avec Daniel Auteuil. C’était une aventure assez énorme pour eux et Maurice en a tiré un scénario monstre. Daniel refusait tout pour faire ce film. Il n’avait qu’un impératif : jouer les Fourberies de Scapin dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, à Avignon.

Pourquoi a-t-il finalement dû jeter l’éponge ?

Le script et les financements avançaient, mais pas les décors : on ne trouvait rien qui ressemblait à Auvers-sur-Oise. Par ailleurs, Maurice n’aimait pas être contraint de parcourir des centaines de kilomètres pour tourner les diverses parties de ses films. Il fallait donc que nous dénichions à tout prix un endroit qui puisse rassembler des lieux semblables à l’Auberge Ravoux ou à la maison du Docteur Gachet… et ça nous a pris un temps infini, jusqu’à créer une catastrophe : la date du tournage est finalement devenue exactement celle de l’impératif de Daniel et ça a été la fin de l’histoire avec lui, alors qu’il s’était totalement impliqué, en prenant même des cours de peinture. Cela a été terrible pour tout le monde.

Comment Jacques Dutronc est-il arrivé sur le projet ?

Avec Dutronc, il y avait pour Maurice l’idée de clore une histoire inachevée car il le voulait déjà pour Loulou (1980), dont le rôle principal a finalement été endossé par Depardieu. Pour lui, la personne qui ressemblait le plus physiquement à Van Gogh, c’était le tennisman Boris Becker. Mais on n’allait pas empêcher un joueur de tennis d’être sur les courts pendant deux ans !

 

VAN GOGH
Van Gogh
,
1991


Comment a-t-il dirigé Dutronc ?

Ce n’était pas quelqu’un qui dirigeait ses acteurs au sens propre du terme. Entre ses acteurs et lui, tout se passait avec peu de mots. Et ça tombait bien car Jacques Dutronc est plutôt taiseux ! Maurice ne souhaitait pas que Dutronc se déguise en Van Gogh. D’ailleurs, Jacques ne joue avec rien d’autre qu’une petite teinture de cheveux et un jean patiné assorti à une chemise. L’attachement de Maurice, c’était d’être précis sur le chevalet, sur la peinture et sur la gestuelle du peintre. C’est donc lui qui a prêté sa main pour ces séquences.

Le film est avant tout une réflexion sur l’art et la difficulté de créer...

Maurice a pris des libertés scénaristiques pour s’intéresser à la création et à comment vit quelqu’un qui essaye de faire œuvre. D’autant plus que la vie de Van Gogh reste une énigme. Personne ne sait précisément comment il est mort. Seule sa relation à son frère est documentée car leur correspondance est énorme. La biographie officielle laissait donc beaucoup de place. Nous n’avons pas été obligés de suivre une succession de faits réels car il n’y en a pas. D’ailleurs, Dutronc s’est glissé dans la peau de ce personnage sans rechercher une ressemblance qui était finalement sans intérêt car personne ne savait vraiment à quoi ressemblait Van Gogh.

Quelle part de lui-même Maurice Pialat a-t-il dévoilé au travers de ce film ?

Lui seul aurait pu répondre avec précision à cette question, mais je crois que Van Gogh lui offrait l’opportunité d’une autobiographie. À un moment, le script aurait effectivement tout aussi bien pu s’appeler « Maurice Pialat » ! Il s’est également donné la possibilité d’oublier le modèle pour proposer quelque chose de plus universel. Il a essayé de comprendre Van Gogh au travers de ses propres ressentis et pour traduire ses émotions, il a été puiser dans les siennes. Le film de Vincente Minnelli (1956) décrit davantage la vie du peintre au milieu de ses tableaux. Dans le film de Maurice, c’est tout l’inverse.

Un mot sur le tournage ?

Tout a été très difficile. Après le départ de Daniel Auteuil, nous avons perdu des financements alors même que depuis le début, le film n’était pas financé à hauteur de ce qu’il coûtait. Il a été arrêté, et après que Canal+ et Gaumont furent arrivés à la rescousse, nous l’avons terminé avec une toute petite technique, et notamment avec une équipe décoration qui a mis les bouchées doubles. Nous n’avions pu tourner que la mort de Van Gogh dans sa chambre. Autant vous dire qu’il restait donc beaucoup de choses à mettre en boîte...

Maurice Pialat a confié s’être beaucoup amusé sur ce tournage en dépit des tensions satellites…

Maurice était très à l’aise dans les tournages longs. Tourner, c’était son meilleur moment. Il a pris beaucoup de plaisir à diriger les séquences à table comme celle du Temps des Cerises. Je repense aussi à l’hommage à John Ford dans la scène du cabaret, à l’hommage au western dans les scènes au bord de l’eau, quand les personnages dansent… Maurice était vraiment le premier spectateur de son film et constater que tout fonctionnait lui procurait une grande joie. Pour lui, la sensation de faire du cinéma, c’était tourner et Van Gogh est un tournage dans lequel il s’est bien débattu. Tous les décors se situaient au même endroit et c’est comme si les gens du village où nous tournions sortaient de terre pour recréer une atmosphère qui était celle de l’époque. Pour Maurice, c’était très excitant.

 

Propos recueillis par Benoit Pavan

 

 


Séances :

Van Gogh de Maurice Pialat (1991, 2h48)
> UGC CINÉ CITÉ CONFLUENCE Jeudi 14 octobre, 20h30
> LUMIÈRE TERREAUX  Vendredi 15 octobre, 10h
> SAINTE-FOY-LÈS-LYON Samedi 16 octobre, 17h

 

Restauration inédite 2K supervisée par Gaumont. L'image a été restaurée chez Eclair et le son chez Le Diapason, à partir du matériel d’origine. Ressortie en salles le 27 octobre 2021 par Capricci.

 

Sous le soleil de Pialat, documentaire  de William Karel (2021, 52min)
> VILLA LUMIÈRE Jeudi 14 octobre, 17h45

 

 

Catégories : Lecture Zen