Souvenirs

« Grangier, c’était le plus chaleureux »


Posté le 11.10.2021


 

C’est un mot de Gabin, à qui l’on proposait un tournage dans le sud : « Passé la Loire, c’est l’aventure… » Et c’est le titre d’une conversation passionnante entre François Guérif et Gilles Grangier (1911- 1996) aujourd’hui rééditée. Souvenirs.

 

Quel souvenir gardez-vous de ces entretiens avec Gilles Grangier ?

J’ai un souvenir très ému de ces échanges. J’ai découvert un homme généreux, gentil, qui parlait plus des autres que de lui-même, avec des anecdotes sur les grands du cinéma français. Gilles Grangier, c’était le contraire de l’aigreur. Un jour, je lui avais dit : les gens de la Nouvelle Vague ont été un peu vaches avec toi, notamment Truffaut, qui avait écrit en gros que donner de la pellicule à Grangier, c’était la donner à gâcher… Tu en penses quoi, aujourd’hui ? Il m’avait répondu : « Bien sûr, je leur en ai un peu voulu mais dans La Cuisine au beurre, j’ai tourné avec Claire Maurier qui jouait la mère de Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups. C’était une femme formidable. Elle m’a dit que Truffaut était un type très bien. Si elle le disait, c’était sans doute vrai, et je regrette de ne pas l’avoir rencontré. »

 

Un homme modeste ?

Infiniment. Il racontait avec humour que pendant le tournage de Gas-oil, un curieux s’était approché : « Ah, vous allez tourner quelque chose ? » « Oui, c’est l’histoire d’un camionneur ». « Et qui réalise ? » « Grangier », répond Grangier, « Ah, ça va pas être terrible », conclut l’autre… Mais il tenait à certains de ses films et là, il était prêt à se fâcher : « Quand on dit que je ne préparais pas mes plans, c’est faux ! » Gilles détestait le zoom et adorait les travellings. Il avait été l’assistant de Guitry sur Désiré. Il racontait que régulièrement, après avoir bien déjeuné, Guitry se prenait les pieds dans les rails installés sur le plateau, et criait : « Quel est le con qui m’a mis un travelling ? » C’était Grangier.

 

GAS-OIL

Jean Gabin, concentré dans Gas-Oil, 1955

 

Il possédait un grand savoir-faire de technicien…

Oui, quand on revoit Gas-oil, les cadres sont magnifiques ! La grande escroquerie, c’est qu’on a répété que ces gens-là ne tournaient qu’en studio, alors que Grangier a fait les trois-quarts de ses films en extérieurs. Par exemple, Échec au porteur, tourné dans une banlieue parisienne assez « crade », complètement en décors naturels. « Mais pourquoi tu n’en a pas tourné plus comme ça ? » « On ne voulait pas de moi pour ça, j’étais catalogué comédie... » C’est pour ça qu’il en a été éternellement reconnaissant à Gabin, qui l’a sorti de là.

Claude Chabrol, que je connaissais bien, m’avait dit : « Quand j’ai vu que tu faisais un livre avec Grangier, j’ai trouvé que tu charriais un peu. J’aime bien Gilles mais il est un peu paresseux. Et puis j’ai revu les films et si je continue de penser que, parfois, il aurait pu se décarcasser un peu plus, je vais te dire, il n’y en a pas de plus chaleureux ». Je trouve que c’est très juste.

 

Echec-au-porteur

Paul Meurisse, flic visionnaire dans Échec au porteur, 1958

 

Quel est votre film préféré de Grangier ?

J’adore Le Désordre et la Nuit. Gabin lui avait dit, au début du tournage : « Me fais pas jouer les galantins, j’ai passé l’âge » Mais il se trouve que Gabin n’était pas insensible aux charmes de Nadja Tiller, il était même très troublé par elle, et c’est le film où il est le plus fragile, sans masque, et c’est étonnant. On avait tourné une émission avec Grangier, Bertrand Tavernier et Alain Corneau. Quand on a parlé avec enthousiasme du Désordre… je me suis retourné vers Gilles, j’ai vu qu’il pleurait...

 

 

Propos recueillis par Aurélien Ferenczi

 

 

 


passe-la-loirePassé la Loire, c’est l’aventure, de Gilles Grangier, Entretiens avec François Guérif, Institut Lumière/Actes Sud, 256 pages, 21€.
Disponible à la Librairie du Premier-Film  et à la Librairie éphémère du Village,  montée avec la coopération de Decitre,  partenaire du festival.
Sortie nationale le 27 octobre.

 

Catégories : Lecture Zen