Soleil levant

La pionnière oubliée
du cinéma japonais



Posté le 10.10.2021


 

Imaginez Meryl Streep, Anna Magnani, ou Isabelle Huppert réaliser, entre quelques grands rôles, des films intimes et même des fresques épiques. C'est ce qu'a accompli la japonaise Kinuyo Tanaka (1909-1977), star et cinéaste émouvante, perspicace et sensuelle, que l’on redécouvre enfin.

Tanaka est la femme de tous les exploits. Actrice dans près de trois cents films, comédienne fétiche du trio de cinéastes de génie : Kenji Mizoguchi, Yasujiro Ozu et Mikio Naruse. Son jeu souverain fait d'elle une comédienne qui tend chaque scène qu'elle traverse, comme quelqu'un qui entre tranquillement dans une pièce et que vous ne voulez plus jamais laisser repartir. Sa forte personnalité lui permet de devenir la deuxième femme à passer à la réalisation au Japon. Tanaka cinéaste, ce sont six films dont le point commun est l'exploration de groupes humains obéissant sans le savoir au fameux adage de Jean Renoir qui veut que « ce qui est terrible sur cette terre, c'est tout le monde a ses raisons ». Très dialoguées, les œuvres de Tanaka expriment une grande volonté de suivre les destins d'êtres encore jeunes, mais qui ont déjà une certaine expérience de la vie et qui s'apprêtent à exister encore bien davantage.

 

PORTRAIT KINUYO TANAKA

 

Tournés dans l'immédiate après seconde guerre mondiale, ses films s'inscrivent dans le grand mouvement qui traverse la planète cinéma d'alors, celui d'une forte envie de vivre, tout de suite. Lettre d'amour (1953), La lune s'est levée (1955), et Maternité éternelle (1955) dégagent une impression de noir et blanc entre ténèbres et grande luminosité, à hauteur de femme, caméra au milieu d'une petite classe moyenne qui se débat tout le temps. Les personnages clopes au bec, ont des problèmes d'argent, de boulot, des envies d'aimer et pas mal d'incertitudes. Le héros épistolier de Lettre d'amour trimballe un épi dans ses cheveux, symbole du désordre de son âme. Les trois filles célibataires de La Lune s'est levée, vivent entre tradition, modernité et éternité représentée par exemple par le jeu des mains entre deux jeunes gens timides observant le lever de la lune.

Cette sensualité de la main sur la peau d'un autre, Tanaka la sublime dans des plans bluffant de Maternité éternelle, biopic d'une poétesse que la vie maritale rend malade, qui tisse des liens secrets avec Un ange à ma table de Jane Campion. On retrouve cette obstination à se dégager des conventions sociales, à vouloir être comprise. "Après ma mort, je serai libre d'apparaître partout. Sur tes épaules par exemple", écrit l'héroïne au cœur riche de Maternité éternelle. En 1961, avec La Nuit des femmes, Tanaka clôt son cinéma de petites communautés humaines par le portrait d'une jeune femme qui veut oublier qu'elle fut prostituée.

Avec les années soixante, Tanaka agrandit le cadre de son image, aborde la couleur et la fresque historique et politique, genre cinématographique jusqu'alors très masculin. En deux films, La Princesse errante (1960) et Mademoiselle Ogin (1962), la cinéaste révèle un cinéma violemment coloré, au lyrisme visuel digne des films de Douglas Sirk, et proche d'un David Lean par l’ampleur du récit. La Princesse errante est une jeune japonaise qui veut être éduquée alors qu'on la marie à un homme puissant en Mandchourie. C'est un film sur le sort tout tracé réservé aux femmes. Jusqu'au bout l'héroïne lutte pour tenir le coup à grands coups de mutation personnelle. Elle rejoint en cela Mademoiselle Ogin, ravissante amoureuse d'un samouraï converti au catholicisme alors que la vie conjugale de la demoiselle est déjà programmée. Dans une séquence clind'oeilaux Amants crucifiés de Mizoguchi, Tanaka met en scène le samouraï baignant les pieds blessés de la jeune héroïne. Les codes habituels du cinéma qui veulent que les femmes sont souvent passives dans des rôles d'infirmières à la disposition du héros vaillant sont inversés. A travers ses films, Kinuyo Tanakacinéaste montre de façon douce et forte, combienil ne faut pas aller contre soi-même, que personne ne doit le demander et encore moins l'imposer.

 

 

 

Virginie Apiou

 

 

 


Séances

 

Lettre d’amour (Koibumi, 1953,1h38)
Lumière Terreaux lu11 11h |Villa Lumière ma12 18h45 | UGC Confluence je14 11h15

 

La Lune s’est levée (Tsuki wa noborinu, 1955, 1h41)
Pathé Bellecour di10 11h15 | Lumière Terreaux ma12 14h30 | Cinéma Opéra sa16 14h30

Maternité éternelle de Kinuyo Tanaka (Chibusa yo eien nare, 1955, 1h46)
Lumière Terreaux me13 10h45

 

La Princesse errante (Ruten no ohi, 1960, 1h42)
Villa Lumière lu11 11h | Lumière Terreaux je14 11h

 

La Nuit des femmes (Onna bakari no yoru, 1961, 1h33)
Comoedia me13 14h30 | Lumière Terreaux ve15 17h15

 

Mademoiselle Ogin (Ogin-sama,1962, 1h42)
Lumière Terreaux di10 14h15 | Cinéma Opéra ve15 14h | UGC Confluence sa16 14h

 

 

 

Catégories : Lecture Zen