Posté le 17.10.2021
Le premier film d’Eisenstein : révolutionnaire à tous les sens du termes.
« C’est un film anguleux. Surprenant. Audacieux. Il contient les graines de presque tous les éléments qui, sous une forme plus mature, apparaissent dans mes œuvres des années suivantes. C'est une "première" œuvre typique, hargneuse et pugnace, comme je l'étais à cette époque. » Dans ses mémoires, Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein a raison, La Grève, tourné à seulement 26 ans, a toutes les vertus d’une première œuvre : une invention permanente, un rythme effréné, l’envie constante d’essayer des techniques nouvelles de récit.
Pas de héros : le personnage principal, c’est le collectif ! Un ouvrier injustement accusé de vol est poussé au suicide, alors l’usine se met en grève. Face au prolétariat, trônent les patrons ventripotents et leurs gardes-chiourmes, indic’ ou policiers. Plus encore que dans Le Cuirassé Potemkine, les audaces visuelles tiennent ici du feu d'artifice : retours en arrière, surimpressions, juxtapositions symboliques, ça foisonne ! Comme quand les indicateurs sont comparés à différents animaux ou encore comme, et c’est terrifiant, quand les représailles contre les grévistes sont mises en parallèle avec des scènes d’abattoir – un « effet Koulechov » particulièrement frappant…
La Grève, 1925
© Gaumont Pathé Archives
Plus tard, Dziga Vertov, le théoricien du cinéma-vérité (« kino-pravda ») critiquera ces « effets de cirque », mais ceux-ci donnent pourtant au film une incroyable épaisseur, une puissance encore intacte près d’un siècle plus tard. Un fort effet de réel naît même de cette approche ultra-formaliste : « Mettre à bas l’intrigue et l’histoire », le projet d’Eisenstein, brouille la frontière entre fiction et documentaire.
Guerres internes obligent, le montage final de La Grève, à l’automne 1924, fut l’objet de tractations complexes : Eisenstein et son opérateur Tissé avaient attendu la venue de Léon Trotski pour tourner dans une usine au sud de Moscou. Quand il s’est agi de finir le film, Staline avait déjà lancé une campagne anti-trotskiste qui rendait impossible l’apparition du révolutionnaire tel qu’il était prévu dans l’épilogue du film. Eisenstein lutta, puis céda. Le film n’en conserve pas moins sa splendeur singulière.
Séance :
La Grève de Sergueï M. Eisenstein (Stachka, 1925, 1h34)
Ciné-Concert Auditorium National de Lyon dimanche 17 octobre à 11h accompagné à l’orgue par Serge Liégeon.
En copie restaurée en 2K par Gaumont-Pathé Archives.