Le Billet de Première - Thomas Baurez

Le Beau voyage


Posté le 10.10.2021


 

Je disais donc que la seule fois où j’ai vu Bertrand Tavernier à l’œuvre, c’était en octobre 2009 quelque part dans le Cantal.

Le cinéaste tournait dans un château du XIe siècle La Princesse de Montpensier, d’après une courte nouvelle de Madame de La Fayette. Le texte en question débutait ainsi : « Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d’en causer beaucoup dans son empire. »  On sentait déjà à travers ces quelques lignes, la façon dont la petite et la grande Histoire pouvaient valser ensemble. Sans trébucher. En ce mois d’octobre de l’an 2009, La Princesse de Montpensier était là, à portée. Tavernier aussi du coup. Il a d’abord fallu que mon taxi sillonne la vallée du Lot et qu’au détour d’un virage, une étendue s’offre à moi, longue langue de verdure sur laquelle trônait, majestueux, un château moyenâgeux. L’édifice rescapé du temps inexorable renvoyait immédiatement le XXIe siècle au-delà des collines. Bertrand Tavernier était là, entouré de sa cavalière et ses nombreux soupirants. Je le trouvais en train d’ajuster les déplacements de ses interprètes avec une assurance évidente. Chacun proposait, lui tranchait.

 

Princesse Montpensier Tou

La Princesse de Montpensier, 2010


Le film en costumes, l’une des grandes affaires de Bertrand Tavernier. Une inclinaison qui l’a souvent fait passer pour un chantre du classicisme, comme si la modernité n’était soluble que dans le contemporain. Derrière son « steadycameur », le cinéaste posté au pied de son château « Montpensier », répétait à qui voulait l’entendre (c’est-à-dire, tout le monde) son mantra : « Il faut casser le côté antiquaire. » Être moderne, c’est avant tout cette formidable capacité à rendre chaque époque plus proche de nous. « Faire comme si la caméra avait été inventée en 1778 » avait joliment dit Jean Rochefort sur le tournage de Que la fête commence.

Bertrand Tavernier jouait aussi sur les mots. Au détour d’un dialogue, Lambert Wilson avait ainsi osé remplacer une expression par une autre. Le cinéaste soudain écorché, avait alors tapé du pied pour marquer sa gêne. Il m’expliquerait plus tard qu’en lisant la nouvelle de Madame de La Fayette, un « simple » adjectif ouvrait des perspectives surprenantes. « Prenez « tourmenté », au XVIe siècle, ce mot était extrêmement violent. Il signifiait : battre, taper, fouetter… Rien à voir avec la figure du romantique ombrageux. Il a donc fallu étudier le texte en profondeur. Je me souviens aussi de ce plan découvrant des draps blancs suspendus que le vent avait retourné ou froissé. L’accessoiriste semblait désolé.  « On n’est pas là pour faire du beau ! » avait lancé Tavernier satisfait de ce que le hasard lui donnait. Le cinéaste paraissait tout de même soucieux. En fait, son esprit vagabondait. Il cherchait désespérément le titre d’une chanson de Bobby Lapointe. Je n’ai pas osé sur le moment lui demander le rapport avec sa Montpensier. J’aime à croire maintenant qu’il s’agissait du Beau Voyage.

 

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