Posté le 11.10.2021
L’antre se trouve aux confins du 17e arrondissement parisien, loin du tumulte gentrifié.
Je me rends chez Philippe Sarde. C’est le début de l’été 2015. Le musicien a composé la musique du premier long-métrage de Louis Garrel, Les Deux Amis qui vient de parader sur la Croisette. Sarde a tendance à se faire rare, j’y suis donc allé le cœur battant et en courant. « Dring ». Philippe Sarde a ouvert la porte. C’est d’abord son ample t-shirt noir qui m’a sauté au visage. Puis son short de la même couleur. Tout est calme et décontracté. Le luxe, lui, est masqué sous des tas de souvenirs qui occupent les murs, le bureau et les tables basses. L’hôte s’assied devant son ordinateur. Derrière lui, je lis le nom Tess joliment écrit à la main sur un diplôme. Sa partition du chef d’œuvre de Roman Polanski lui a valu une nomination à l’Oscar, le présent parchemin faisant foi.
Les Choses de la vie de Claude Sautet (1969)
Par où commencer ? Les Choses de la vie forcément. Tandis qu’il se remémore et remet en scène ses souvenirs avec un sens du récit incomparable, je sens que ses mains répriment une envie de battre la mesure. Un entretien avec le compositeur se fait forcément en musique. Il suspend souvent ses phrases en vol, tandis qu’émerge des enceintes une mélodie illustrant son propos. La Chanson d’Hélène, en long en large et en travers. Philippe Sarde vous regarde dans les yeux pour être certain que vous êtes là, avec lui, vibrant sur chaque note. Parfois, il appuie sur la barre espace du clavier coupant court au lyrisme. Il change de piste, isole l’instru du morceau. Romy disparait. Reste le piano. Il lance : « Je joue ma petite mélodie à Claude [Sautet], et là, silence complet, une émotion passe. Il me dit : « Dites-moi, cette mélodie ne fait que descendre, vous pouvez aussi la faire remonter ? , « Je peux faire tous les trajets que vous voulez !» »
Et des trajets, on en fait à la vitesse grand V. Le thème de La Grande Bouffe à toutes les sauces : rumba, piano solo ou avec orchestre... J’ai même eu droit aux pâtes d’Ugo Tognazzi préparées en plein milieu de la nuit avec Marco Ferreri trouvant l’inspiration entre deux bouchées. Dans les parages, Il y avait déjà le jeune Bertrand Tavernier, attaché de presse du cinéaste italien iconoclaste. Alain Sarde raconte, ouvre des portes secrètes et relance une rumba dans l’air pour finir en beauté la fin de l’épisode. Dans la pièce, ce jour-là, sont entrés Chet Baker, camé jusqu’à l’os mais droit sur sa trompette au moment de l’enregistrement ; Belmondo suspendu à un hélico qui voulait du disco ; Hallyday qui a épousé une ombre, ou encore les primates de La Guerre du feu domptés par la musique. Tout va vite, rien ne se confond tout à fait. Je me lève pensant les confessions terminées. J’évoque sans crier gare le nom de William Friedkin, précédent « client » de ma rubrique pompeusement baptisé « grand entretien » et auquel Sarde allait donc succéder. « Ah Friedkin ! Asseyez-vous, je vais vous raconter une histoire... A cette époque, il était encore en couple avec Jeanne Moreau... » Luxe, calme et envolées.