Posté le 15.10.2021
2004. Le début du mois de juin est gorgé de soleil. Nous nous sommes tant aimés ressort dans les salles françaises, annonçant un été à la fois radieux, romanesque et mélancolique.
Le titre de cette pierre angulaire de « la comédie à l’italienne », et sa conjugaison au passé, charrie avec lui les désillusions de la vie. Le film, on sait, suit le destin de trois amis sur près de quatre décennies. Gianni (Vittorio Gassman), Nicola (Stefano Satta Flores) et Antonio (Nino Manfredi), camarades de barricades et de luttes, vont passer leur temps à se (dé)croiser.
Hasard heureux, en cet indolent mois de juin, Ettore Scola est de passage à Paris pour un colloque sur les élections européennes. Je fais donc une irruption cinéphile dans un emploi du temps politique. Quand je vais le retrouver dans les beaux jardins de la Maison de l’Amérique Latine où vont se dérouler les débats, j’aborde à peine les questions qui peuvent fâcher. C’est lui qui mettra la chose sur le tapis lorsque nous évoquerons ses projets à venir : « Tant que Berlusconi sera aux affaires de mon pays, je ne pourrai accepter aucun argent public pour financer mes films... » Le cinéaste, d’une élégance qui a le bon goût de ne pas être ostentatoire, parle dans un très bon français. Il revient en arrière. « Si je devais qualifier Nous nous sommes tant aimés, je dirais qu’il est d’un pessimisme coloré. Je ne peux pas dire que j’aime ce film plus qu’un autre, les bons comme les moins bons font ce que je suis. » Ce « pessimisme coloré », résonne directement aujourd’hui avec son Passion d’amour, visible en copie restaurée lors de cette édition Lumière 2021, où sa structure en flash-back permet, elle-aussi, d’explorer les blessures du temps.
Passion d'amour, 1981
6 Juin 2004. Hasard malheureux, Nino Manfredi est mort deux jours plus tôt. Scola garde sa retenue. Le mélo et ses effusions, il les laisse à d’autres. « Lorsque l’on parle des genres cinématographiques, les critiques citent des films, des cinéastes, et oublient bien souvent, les interprètes. Nino et Vittorio [Gassman], représentaient presque à eux seuls la comédie à l’italienne. Comme nombre de mes confrères cinéastes, j’ai modelé mon film en fonction de leurs personnalités, leur façon de rire, pleurer, bouger. Nino était un clown triste. Je suis triste aujourd’hui... »
Ce jour-là, le maître italien m’a aussi parlé de ses amis Vittorio de Sica et Federico Fellini, venus jouer leur propre rôle le temps de deux sublimes séquences dans son chef d’œuvre. Les années 70 qui ont vu la naissance de Nous nous sommes tant aimés marquent bien entendu la fin d’une parenthèse. Rossellini, Pasolini ou encore Visconti disparaissent à quelques mois d’intervalle. Un âge d’or est passé. Nous nous sommes tant aimés reste un peu malgré lui, une balise temporelle. « Dans l’histoire de l’humanité, certains siècles ressemblent à des montagnes et d’autres, à des plaines... », conclut le cinéaste fataliste mais pas défaitiste. Son optimiste en clair-obscur recouvre alors toutes les couleurs du pessimisme. 6 Juin 2004, l’été a enfin pu prendre ses aises dans un petit jardin du boulevard Saint-Germain.