Le billet de Première – Thomas Baurez

Sarde et le silence bressonien


Posté le 12.10.2021


 

J’expliquais ici même comment je m’étais retrouvé au dernier domicile connu de Philippe Sarde pour un « grand » entretien.

C’était à l’été 2015. Arrivé à 10h du matin, j’ai voyagé avec lui sur les rives parfois houleuses du cinéma français jusqu’en début d’après-midi. Le musicien manie les notes et les mots avec la même dextérité. Au moment de prendre la pause et la pose pour capturer le cliché qui illustrerait la présente entrevue, le photographe Marcel Hartmann a scruté la pièce et réussi à saisir la nature du modèle. Puisque Philippe Sarde a voyagé au milieu des flots parfois intranquilles, l’imposante malle, témoin muet de probables croisières sur les mers du Sud, servira d’accessoire. Le regard noir et perçant du musicien, lui, est déjà une porte ouverte vers de lointains horizons. Une fois le portrait tiré, on a repris le fil d’une conversation à bâtons rompus mais jamais décousu. A propos d’océans inatteignables, je m’arrête logiquement sur le nom de Robert Bresson. L’attelage parait étonnant. Lui, le compositeur volontiers lyrique et Bresson, l’homme des Notes sur le Cinématographe, où chaque ligne est parole d’évangile. « Si l’on tient à trouver une analogie à l’écriture cinématographique, il faut chercher du côté de la musique et non du côté de la peinture car on aboutirait à la carte postale. » ou encore : « Le silence est nécessaire à la musique mais ne fait pas partie de la musique. La musique s’appuie dessus. ».

 

Sarde Abbey Road© B. Communal

 
Sarde ne me fait pas l’effet d’un enfant de cœur, propre à s’agenouiller devant un curé de campagne ou d’ailleurs. J’ai envie d’en savoir plus. Chez Bresson, les silences ne servent pas toujours de marche pied à la musique, devenue même au fil de sa filmographie, de plus en plus arlésienne. On se souviendra peut-être que le Bresson des seventies était produit par Jean-Pierre Rassam et Jean Yanne. Phillipe Sarde me parle d’une faille à trouver. Une faille nichée dès le générique de Lancelot du Lac. A l’écran, la caméra s’attarde sur des cadavres dans un silence de mort. Pas de musique. Le musicien sourit. Il raconte : « Robert... » (l’homme appelait donc le Saint Homme par son prénom), « ... avant tous ces cadavres, il y a bien eu une bataille ? », « Oui, pas besoin de la montrer... », « Peut-être, mais si vous démarrez sur ces corps silencieux pendant dix minutes, le spectateur va décrocher... », « Vous proposez quoi ? », « Je vais vous composer une musique de bataille que vous poserez sur le générique, on sera directement dans l’action ! », « Allons-y ... »  J’apprendrai que pendant l’enregistrement Bresson lui-même battait la mesure. Bref, voilà comment le silencieux Lancelot, s’est doté d’un thème saccadé et militaire battant régulièrement la mesure au rythme d’une armée invisible. Le diable probablement ! Et puisque les contraires ne s’opposent pas forcément et se suivent parfois, j’ai laissé Lancelot pour La Grande Bouffe. Marco après Robert. Le feu et la glace. Philippe, chaud et froid. Toujours sur le pont.

 

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