Posté le 10.10.2021
Après la parution de trois scénarios de Michel Audiard adaptés de romans de Georges Simenon, les éditions Institut Lumière /Actes Sud s’intéressent aujourd’hui à la collaboration entre le scénariste-dialoguiste et Albert Simonin, d’où sont notamment issus les mythiques Tontons flingueurs. Franck Lhomeau, historien du roman policier, qui a édité, présenté et annoté l’ouvrage, nous explique qui était l’auteur du Cave se rebiffe.
Qui était Albert Simonin ?
Né en 1905, il a quinze ans de plus que Michel Audiard. Il est issu d’un milieu plutôt modeste, vit à Paris dans le quartier de la Chapelle, et, entre les deux guerres, il se partage entre son métier de chauffeur de taxi et l’écriture. Il a rencontré un personnage assez fantasque, Jean Bazin, déjà auteur à la NRF, avec qui il écrit Voilà taxi ! : il y raconte son métier en utilisant l’argot, avec même un glossaire en fin d’ouvrage. Pendant l’occupation, il a une activité de journaliste et de collaborateur. Il va être condamné à cinq ans d’emprisonnement, dans différents centres pénitentiaires, certains assez durs. Il sort en 1949 et en 1952, il écrit Touchez pas au Grisbi, en réaction au roman noir américain. "Nous aussi, on a des truands", dit-il. Le livre connait un succès immédiat et devient le titre le plus vendu de la Série Noire.
L’argot dans le roman noir, ça devient une mode ?
Auguste Le Breton rencontre aussi un grand succès avec Du Rififi chez les hommes, mais la critique différencie les deux romanciers et leur usage de l’argot : Simonin est un styliste, il n’a jamais connu le monde des truands qu’il raconte. On a caché les motivations de son emprisonnement pour dire qu’il avait appris l’argot auprès de ses co-détenus, mais il y a une grande part de légende. Sa démarche est plus littéraire que celle de Le Breton qui, lui, a vraiment fréquenté la pègre. L’adaptation très rapide de Touchez pas au Grisbi par Jacques Becker impose aussi Simonin comme homme de cinéma. Et il arrête l’écriture romanesque après la trilogie de Max le Menteur, parce que le cinéma est plus lucratif.
Sur le plateau du Cave se rebiffe, Grangier, Gabin et Blier causent.
Comment rencontre-t-il Michel Audiard ?
Ils collaborent pour la première fois sur Courte tête de Norbert Carbonneaux (1955), une bonne comédie sur une escroquerie au turf, un film salué par Truffaut. S’étaient-ils déjà rencontrés auparavant ? C’est possible, mais rien ne l’atteste. Il faudra attendre plusieurs années pour qu’ils se retrouvent. Entretemps, Simonin a participé à des films plutôt médiocres. Leur collaboration sera harmonieuse, elle va durer dix ans : ils écriront ensemble une douzaine de films, Simonin plutôt au scénario, Audiard plutôt aux dialogues.
Au cours de vos recherches, qu’avez-vous appris sur l’écriture du Cave se rebiffe (1961), réalisé par Gilles Grangier ?
Contrairement à ce qu’on a dit,Simonin a tout de suite écrit un scénario de comédie, alors que son roman aurait pu avoir un traitement aussi réaliste que celui de Becker sur le Grisbi. Mais le genre est déjà parodié – pensez aux différentes aventures de Lemmy Caution – et Simonin n’a pas envie de valoriser le monde des truands qu’il ne trouve pas très glorieux. Son adaptation est très construite, elle comporte déjà des dialogues, ce qui modifie un peu le regard sur le travail d’Audiard, sans rien enlever à l’importance de son apport.
Propos recueillis par A. F.
A lire
Michel Audiard – Albert Simonin : Le Cave se rebiffe, Mélodie en sous-sol, Les Tontons flingueurs, scénarios édités, annotés et présentés par Franck Lhomeau, Ed. Institut Lumière / Actes Sud (880 pages, 39 euros)
Disponible à la librairie du village
Le Cave se rebiffe de Gilles Grangier (1961, 1h38)
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