Posté le 16.10.2021
Récit noir livré aux ténèbres, La Soif du Mal, dernier film hollywoodien d’Orson Welles, offre un exercice de style virtuose.
Dix ans. C’est le temps qu’il fallut à Orson Welles pour retrouver l’ambiance d’un studio hollywoodien en qualité de réalisateur. Après La Dame de Shangaï en 1947, échaudé par son incompréhensible échec, il s’était limité à rester sur sa ligne de but, faisant simplement l’acteur dans une vingtaine de films, dont Le Salaire du Diable de Jack Arnold, produit par Albert Zugsmith. Indirectement, c’est ce dernier qui, en 1957, rabiboche le cinéaste avec "l’usine à rêves". Au départ, il ne lui propose qu’un rôle de flic corrompu dans La Soif du mal dont Charlton Heston est appelé à être la vedette. Puis celui qui sera bientôt Ben Hur s’en mêle – en admirateur de la première heure - et réussit l’impossible en convainquant Universal de confier la mise en scène à Welles ; qui accepte, s’appropriant le sujet le temps d’une réécriture en un temps record : un mois.
La Soif du mal va lui permettre, pense-t-il, de prouver à ces ingrats de l’industrie qu’il n’a pas perdu la main. Et le fait est qu’il attaque fort. Le film, situé dans un ville frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, s’ouvre sur un plan séquence mythique de trois minutes et vingt secondes qui amorce la perfusion d'adrénaline. On y voit un homme dissimuler une bombe à retardement dans le coffre d’une Chrysler, qui bientôt démarre avec son couple d’occupants enamourés, roulant au pas à travers une petite ville livrée aux flâneurs nocturnes, inconscients du danger qui vient de les frôler de ses chromes rutilants.
La Soif du mal, 1958
Quatre jours de préparation et une nuit de tournage suffirent à mettre en boîte ce pur moment de classe conduit à bout de grue. Surtout, au-delà du défi formel, la séquence suggère ce qui attend le spectateur : sous la lumière trompeuse des néons, un jeu de fausses pistes, jalonné d’obstacles et de meurtres, vision d’un monde vérolé, en décomposition, où le Mal s’ingénie à souiller les âmes. Face à Charlton Heston qui joue un policier pur produit d’une intégration “réussie” (Vargas est un Mexicain naturalisé) Welles s’attribue le rôle du flic adipeux, bouffi, raciste, truqueur.
Il n’a que 42 ans à l’époque, mais l’outrance du maquillage et ses prothèses faciales lui confèrent un air monstrueux, Jabba Le Hutt avant l’heure. L’usage du grand angle déforme un peu plus sa silhouette de menhir en imper, tout comme il hypertrophie le récit au détriment du réalisme. Welles compose un monde parallèle d’où le cinéma sort vainqueur. Seul le montage lui échappe avant la sortie. Consolation, la version projetée aujourd’hui est celle reconstruite en 1998 à partir de la note de 58 pages envoyée au studio, avec ses suggestions de modifications, après que Welles eut visionné le final cut confié à l’obscur Ernest Nims. La soif du mal qui animait Hollywood envers le réalisateur de Citizen Kane eut son effet. Cette fois, Orson Welles ne retournerait plus jamais pour un studio Hollywoodien.
Carlos Gomes
La Soif du mal d’Orson Welles (Touch of Evil, 1958, 1h35)
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