Famiglia

Marco Bellocchio intime


Posté le 14.10.2021


 

Dans Marx Peut Attendre, le réalisateur italien enquête sur un drame familial qui a hanté son oeuvre : le suicide de son frère jumeau à 29 ans.

 

Quel a été le point de départ de Marx Peut Attendre ?

Une réunion de famille durant laquelle je me suis subitement rendu compte qu’un personnage essentiel manquait à cette mosaïque : Camillo, mon frère jumeau décédé. J’ai alors décidé d’interroger certains de mes proches et de partager avec eux des souvenirs de cette tragédie avec l’objectif d’en faire un film.

 

Comment est née sa structure ?

En commençant à enquêter sur ce drame familial, j’ai compris qu’il me serait possible de mêler à leurs témoignages mon expérience de cinéaste. J’ai donc eu l’idée d’insérer des fragments de mes films qui, indirectement, sont liés à ce qui s’est passé. Car même si c’est sous l’identité de certains de mes personnages, Camillo apparaît dans nombre de mes longs métrages. Ces séquences ont été précieuses car elles m’ont permis de créer la substance de Marx Peut Attendre.

 

MARX-PEUT-ATTENDREMarx peut attendre, 2021

 

Pourquoi vous est-il apparu essentiel de le réaliser à ce moment de votre vie ?

J’ai senti que le moment était venu de transmettre cette histoire aux nouvelles générations de ma famille. Je ne crois ni à l’éternité, ni à l’au-delà et si je ne réalisais pas ce film maintenant, je risquais de ne plus le faire du tout. Ce n’était pas tant pour solder une dette envers mon frère Camillo, mais davantage pour satisfaire une nécessité de témoigner, de raconter et d’interpréter cette tragédie personnelle qui m’a heurtée toute ma vie.

 

Comment avez-vous travaillé avec vos proches ?

De manière très libre. La structure du film a évolué tout au long du processus d’entretiens avec eux. La première scène, celle de la réunion de famille autour de mon père, date d’il y a cinq ans. Depuis, certains des grands témoins du film sont morts. Lorsque j’ai montré à mes proches la première version de Marx Peut Attendre, j’ai senti qu’ils ont été très touchés. Il n’y a pas eu de reproches, mais une émotion collective très forte.

 

Pourquoi était-ce important pour vous de figurer à l’écran ?

J’ai eu la certitude que pour évoquer cette tragédie dans toute sa profondeur, il était nécessaire que j’apparaisse moi aussi au premier plan. Pour une fois, je ne devais pas me cacher derrière la caméra. De cette façon, l’expérience devenait plus radicale. Plus totale.

 

Qu’avez-vous compris en réalisant ce film ?

J’ai compris pourquoi je n’ai jamais su comment répondre à cette question centrale à mes yeux : Pourquoi n’ai-je pas pris conscience plus tôt de la grande douleur de mon jumeau ? Cette interrogation était devenue un tourment, même si je n’ai aucune responsabilité dans sa mort.

 

Les compositions d’Ezio Bosso donnent encore plus de profondeur au film…

Effectivement. Elles accompagnent d’après moi parfaitement la douleur qui traverse cette œuvre familiale. Le choix des compositions s’est fait à la fois dans une forme d’intuition et de coïncidence. Avec ma femme, qui est aussi ma monteuse, nous avons ensuite effectué un très grand travail de restructuration. Le montage a été très lent, mais ce fut une étape cruciale.

 

MARX-PEUT-ATTENDRE---MARX-PUO-ASPETTAREMarx peut attendre, 2021


Que retenez-vous de cette plongée dans votre filmographie ?

Que mon parcours a été long et varié. J’ai arpenté des terrains différents et d’une certaine manière, c’était pour me confronter à l’inconfort et à l’impréparation, qui sont deux choses qui m’ont stimulées. Marx peut attendre, c’est encore une nouvelle proposition. C’est un film familial qui rassemble des séquences de ma vie sans emprunter de ligne droite.

 

Qu’attendez-vous encore du cinéma ?

Que des histoires naissent, me fascinent, me surprennent et me heurtent, qu’elles soient issues du passé ou du présent. J’aime aussi lorsqu’elles sont plus simples, plus anecdotiques. Le plus important, ce sont les histoires qu’on raconte ! Mon expérience m’invite à les aborder aujourd’hui avec plus de certitudes et de tranquillité qu’à mes débuts. Rien ni personne ne m’a jamais forcé à faire du cinéma. Mais lorsque des histoires m’animent, j’aime m’en emparer. Je caresse l’espoir de continuer à faire des films le plus longtemps possible. Le travail ne manque pas et comme disent les catholiques : l’espoir, c’est la santé !

 

Propos recueillis par Benoit Pavan

 

 

 


Séances :

Marx peut attendre (Marx può aspettare, 2021, 1h30)
> INSTITUT LUMIÈRE Jeudi 14 octobre, 17h15

Le Saut dans le vide (Salto nel vuoto, 1980, 2h)
Restauration par Kavac Film, MK2 et Fondazione Cineteca Bologna
> COMOEDIA Jeudi 14 octobre, 19h30
> LUMIÈRE TERREAUX Vendredi 15 octobre, 14h30
> PATHÉ BELLECOUR Samedi 16 octobre, 10h45

Catégories : Lecture Zen