Américains

Les héros de Sydney Pollack savent perdre


Posté le 12.10.2021


 

 

Et si Sydney Pollack, sous le romanesque, était le cinéaste de la mélancolie ? Ses héros s’abîment pour mieux renaître, dans une Amérique en crise. Analyse


Les films de Sydney Pollack ressemblent à des rêves qu'on croirait pouvoir atteindre et qui s'effacent aussitôt. C'est peut-être pour cela qu'ils sont inoubliables. C'est peut-être pour cela que les plus belles oeuvres de ce cinéaste profondément romanesque, mettent en scène des héros qui acceptent de perdre le plus fort. Réalisateur énergique et sympathique, Sydney Pollack est paradoxalement le cinéaste de la mélancolie, en particulier masculine, notion d'autant plus intéressante lorsqu'elle est accolée à l'illusion du fameux rêve américain.

"I'm a very good loser" (Je suis une très bonne perdante) réplique Katie (Barbra Streisand en mode éperdu) à Hubbell (Robert Redford au bord des larmes) dans Nos plus belles années en 1973. La beauté de ce grand mélo est que ce couple sait d'avance que son histoire d'amour ne marchera pas. Il y va pleinement quand même, d'où une certaine mélancolie qui plane en permanence sur eux. On peut même parler d'une vraie fatalité dans le sublime Propriété interdite (1966). Alva (Natalie Wood adorable et folle), vit son histoire d'amour qu'elle pressent condamnée avec Owen (Redford, surpris). Cela n'a rien d'étonnant quand on sait que ce film est adapté de l'écriture de deux artistes du Spleen et de la perte, Tennessee Williams et Francis Ford Coppola.

 Jeremiah Johnson (Redford, barbu philosophe, 1972) n'est pas étonné devant la perte de sa femme et son enfant. Le thème de la fugacité de la vie hante les histoires de Pollack. "Je ne crois pas que vous vivrez très longtemps", dit Kathy (Faye Dunaway, émue) à Joseph (Redford, vibrant) avant de passer une brève nuit ensemble dans Les Trois Jours du Condor (1975). Pollack impose à ses héros un rythme lent, celui de ressentir profondément tout, dans des films débarrassés de réalité technologique moderne si chère au cinéma américain. Pas de bagnole chez Pollack : même Bobby Deerfield (Al Pacino, taciturne, 1977) pourtant coureur automobile professionnel, devient vivant quand il se met à suivre à pieds une fille (Marthe Keller, enthousiaste) qui va mourir. Le Cavalier électrique (Redford, nomade, 1979) prend le rythme d'un cheval perdu au galop pour vivre le temps d'une fuite une histoire avec une journaliste (Jane Fonda, pragmatique).Leurs adieux mélancoliques sont écrits d'avance.

NOS PLUS BELLES ANNEES 2 Nos plus belles années, 1973


"It's just a cowboy. Sometimes he loses the best part of hilmself"
(C'est juste un cow boy. Parfois il perd la meilleure part de lui-même) murmure Willy Nelson à la journaliste du Cavalier électrique. Le cinéma de Pollack n'est pas seulement la perte de l'amour entre deux êtres qui s'aiment, c'est aussi un cinéma de la perte d'un idéal national qui n'a jamais existé ! C'est toute l'histoire des Etats-Unis. Il y a la perte d'un territoire souillé par l'homme dans Jeremiah Johnson, scénarisé par le disruptif et mal élevé John Milius. On retrouve cette nostalgie d'un Eden fantasmé du Far West sauvage dans Le Cavalier électrique, qui démarre au coeur de Las Vegas, lieu d'une aberration humaine totale. Les héros de Pollack sont perdus, pollués par la société de consommation représentée par la pub et les médias. C'est un Bobby Deerfield froid comme la mort qui tourne des pubs pour des montres et de l'alcool, c'est un cavalier électrique qui devient une publicité géante pour une marque de céréales. La publicité, les médias, les journaux, tout cela n'est qu'une illusion qui perd les êtres humains dans une Amérique idéalisée. Les fantômes toxiques des grandes affaires honteuses américaines confrontent les héros de Pollack, bien obligés de faire leur deuil de leur patrie, de la perdre, et pire, de le faire en silence car personne ne voudra les entendre. C'est la fin dans Les Trois Jours du Condor où plane l'affaire du Watergate. C'est la grande dépression qui ravage dans Propriété interdite, c'est le maccarthysme dans Nos plus belles années. Les héros chez Pollack apprennent à ne pas gagner, mais à devenir vivants.

 

Virginie Apiou


Les prochaines séances :

Le Cavalier électrique (The Electric Horseman, 1979, 2h01)
> UGC CINÉ CITÉ CONFLUENCE
Mercredi 13 octobre, 11h

Jeremiah Johnson (1972, 1h48)
> SAINTE-FOY-LÈS-LYON
Mardi 12 octobre, 20h

Nos plus belles années (The Way We Were, 1973, 1h58)
> VILLA LUMIÈRE
Mardi 12 octobre, 16h
> PATHÉ BELLECOUR
Mercredi 13 octobre, 22h

Propriété interdite (This Property is Condemned, 1966, 1h50)
> UGC CINÉ CITÉ CONFLUENCE
Mardi 12 octobre, 14h30
> VÉNISSIEUX
Mercredi 13 octobre, 20h

Les Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975, 1h57)
> CINÉMA ST-DENIS
Mardi 12 octobre, 20h30

Catégories : Lecture Zen